CECI N’EST PAS UN FILM de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb (2011)

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C’est l’histoire d’un artiste privé de son art. Jafar Panahi, réalisateur iranien maintes fois récompensé*, a été condamné en décembre 2010 à 6 ans de prison pour avoir participé à des manifestations d’opposition au président Ahmadinejad. Pour atteindre le réalisateur au coeur même de sa création, le pouvoir lui a également interdit d’écrire des scénarios et de tourner pendant 20 ans. Avec son avocate, il espère faire réviser sa condamnation. En attendant le nouveau verdict, le cinéaste patiente chez lui face à la caméra du documentariste Mojtaba Mirtahmasb. Alors même que les images semblent s’éloigner de toute forme cinématographique, les deux hommes ne sont-ils pas déjà en train de réaliser un film ?

FILMER : UN INSTINCT DE SURVIE

Instantanément, l’immense détresse du Jafar Panahi nous saisit en plein coeur. Comment pourrait-il en être autrement lorsque l’on voit un cinéaste aussi talentueux empêché de pratiquer son art même dans sa forme la plus minimale ? Cette torture mentale,  Jafar Panahi la vit dans une attente interminable, suspendu à la révision d’un verdict qui ne vient pas et à un téléphone qui lui sert d’ultime lien de communication avec l’extérieur. Arrive alors son comparse, Mojtaba Mirtahmasb, venu filmer ce qui fera office de non-film. Une idée lumineuse qui permettra au cinéaste outragé de raconter autrement, mais intensément, son cinéma. Les mots serviront ici de passerelle entre les images manquantes et un public inaccessible. Rusé, le bonhomme s’engage illico dans la lecture d’un scénario censuré qu’il mime avec force dans un salon transformé en théâtre révolutionnaire. Rien d’illégal à cela puisque la condamnation ne l’empêche pas de faire l’acteur ou de lire un texte artistique. On se prend vite au jeu de cette mise en scène invisible, nous spectateurs presque enorgueillis de devenir les complices de cet acte de résistance. Mais la mascarade ne dure qu’un temps, juste de quoi faire diversion face à une situation terriblement cruelle. Frustré, miné par l’inaction et persuadé d’accoucher d’images stériles, Jafar Panahi imprègne peu à peu le projet de sa fragilité. Mojtaba Mirtahmasb filme la lutte intérieure d’un cinéaste acculé mais pas encore à terre. D’ailleurs, Jafar Panahi ne résiste pas bien longtemps à l’envie de saisir la caméra. Un étudiant devient alors l’objet d’une brève étude sociale. Ses images anodines ne racontent rien et tout à la fois. On y décèle l’urgence d’une parole étouffée par une société qui ne veut pas changer. Ni film, ni documentaire, cette œuvre hybride rappelle, dans sa forme, le récent  Pater d’Alain Cavalier. Mais la démarche y est plus radicale. Un film n’aura jamais autant ridiculisé la censure. A l’ère de l’ultra-technologique, comment peut-on réellement empêcher un homme  de filmer quoique que ce soit ? Pour la petite histoire, le film a voyagé sur des clés USB, camouflées dans des gâteaux, et a atterri à la sélection officielle du dernier festival de Cannes. Désormais, il sera de plus en plus difficile pour les censeurs de verrouiller complètement la parole et la création. Sur fond de fête du feu, dont les pétards crépitent comme autant d’espoirs vainement frustrés, ce non-film se révèle puissant et vital. Et pour récompenser cette lutte de chaque instant, un Carrosse d’Or a été attribué à Jafar Panahi à la cérémonie d’ouverture de la dernière Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

* Caméra d’or au Festival de Cannes pour Le Ballon Blanc, en 1995

Léopard d’or à Locarno pour Le Miroir, en 1997

Lion d’or à la mostra de Venise pour Le Cercle, en 2000

Prix du Jury Un Certain Regard à Cannes pour Sang et Or, en 2003

Ours d’argent au Festival de Berlin pour Hors jeu, en 2006

Article écrit le 13 septembre 2011

Titre VO : In Film Nist / Pays : Iran/ Durée : 1h15 / Distribué par Kanibal Films Distribution/ Sortie le 28 septembre 2011